Anne Renand, spécialiste des risques psychosociaux, décrypte les conséquences de la crise sanitaire au travail. Propos recueillis par Isabelle DAVIER, Le Dauphiné Libéré.
Anne Renand, vous êtes spécialiste des risques psychosociaux. Quel impact a l’épidémie de Covid-19 ?
« C’est un révélateur exponentiel des risques psychosociaux. Avant, on mettait les angoisses, le stress sur le compte un peu de sa vie perso, un peu de son caractère… Là, dirigeant ou salarié, nous sommes tous sur un pied d’égalité avec des notions d’insécurité pour l’avenir, de peur de la maladie aussi. Avec cette épidémie, les réactions et les comportements sont augmentés. Une relation qui ne se passait pas bien avec un manager ou avec un salarié (car tout ne vient pas du manager), avec l’éloignement, la distanciation, le télétravail… cela ne peut pas s’arranger. »
Quel est le climat dans les entreprises ?
« Je vois des gens, dirigeants comme salariés, dans des souffrances terribles. Les accompagnements changent car le mal-être n’est aujourd’hui plus un tabou. Les gens l’expriment, ils reconnaissent qu’il y a des gens en souffrance dans leur entreprise, et se demandent quoi faire pour les aider, comment garder un lien de qualité. Un appel le matin pour dire “Ça va” ne suffit pas. Il faut savoir creuser pour que les gens osent s’exprimer à distance. Les portes ne sont plus ouvertes, la machine à café ne fonctionne pas, puisqu’on est chacun chez soi et que cela recommence. Avec en plus, cette fois, la contrainte économique. On ne se sent pas légitime de dire “Je ne vais pas bien” alors qu’on a d’autres soucis. »PUBLICITÉ
Que faire pour en sortir ?
« Les salariés français sont très attachés à leur travail, à la pérennité de leur entreprise. A la marge, on en a toujours qui ne sont pas dans cet état d’esprit, mais les gens sont concernés et impliqués même s’ils ne savent pas toujours l’exprimer. C’est le moment de faire travailler les équipes ensemble, de sortir ce qu’il y a sous le tapis, de voir ce qui a été réussi, ce qui a été moins bien. Et de redonner de l’énergie à tous ces collectifs pour essayer d’aller de l’avant. »
C’est donc une opportunité à saisir ?
« Cette crise est une opportunité terrible pour identifier ce mal-être, le dépasser et aller sur de la qualité de vie au travail. Je vois des entreprises qui sont complètement décomplexées avec le télétravail : les salariés ont été très productifs, le travail qualitatif. Le rôle du manager en télétravail ne s’improvise pas. Ce sont des données nouvelles, l’accompagnement est différent. Mais on s’est rendu compte qu’on pouvait avoir confiance. Certains aussi refusent le télétravail. Il faut trouver un juste équilibre, et c’est en écoutant les gens qu’on y arrivera. »